Qu’est-ce que le staking?
Le staking est un pilier essentiel du Web3. Le staking est un mécanisme propre aux blockchains fonctionnant sur le principe de la preuve d’enjeu (« Proof of Stake » ou « PoS »). Mais c’est également un moyen de générer des revenus pour les détenteurs d’actifs digitaux. Les détenteurs d’actifs digitaux peuvent verrouiller leurs jetons (staker) pour participer à la validation des transactions et à la sécurisation du réseau. En échange, ils reçoivent des récompenses, généralement en cryptoactifs. Ce mécanisme est présenté comme une alternative plus écologique au minage (Proof of Work) et s’est imposé dans des projets majeurs comme Ethereum, Solana, Avalanche ou Cosmos. Le changement de la position de la Securities and Exchange Commission (SEC) quant au statut juridique des services de staking – entre technologie, finance et régulation – est déterminante et ouvre une avenue pour générer de nouveaux rendements pour les investisseurs institutionnels.
Etats-Unis: Evolution réglementaire majeure
Le 29 mai 2025, la SEC des États-Unis a publié une déclaration majeure concernant le staking de cryptomonnaies sur les réseaux utilisant la preuve d’enjeu1. Cette déclaration clarifie que certaines activités de staking, qualifiées de “Protocol Staking”, ne sont pas considérées comme des offres de valeurs mobilières, ce qui représente un changement significatif par rapport à la position antérieure de la SEC.
Pour rappel, jusqu’alors, la SEC considérait que certains services de staking, notamment ceux proposés par des plateformes centralisées comme Coinbase, Kraken ou Binance, relevaient de la définition de valeurs mobilières selon le test de Howey. En février 2023, Kraken a été contrainte de mettre fin à son programme de staking pour ses clients américains et de payer une amende de 30 millions de dollars.
La SEC définit les cryptoactifs pouvant être mis en jeu pour valider des transactions comme des cryptomonnaies intrinsèquement liées au fonctionnement programmatique d’un réseau public et sans autorisation, utilisées pour participer au mécanisme de consensus du réseau PoS ou pour maintenir son fonctionnement technologique et sa sécurité.
La Division of Corporation Finance de la SEC a précisé que les activités de staking suivantes ne constituent pas des offres de valeurs mobilières, à condition qu’elles respectent certains critères :
- Staking individuel (solo staking) : lorsqu’un détenteur de cryptomonnaies stake ses propres actifs directement sur un réseau PoS.
- Staking délégué (non custodial staking) : lorsqu’un détenteur délègue ses droits de validation à un opérateur tiers tout en conservant ses cryptoactifs.
- Staking via des services (custodial staking): lorsqu’un détenteur confie la conservation de ses cryptoactifs à un tiers pour le staking, à condition que le prestataire agisse uniquement en tant qu’agent administratif, sans entreprendre d’efforts entrepreneuriaux.La SEC a précisé que le fait que le dépositaire (custodian) prenne ces cryptoactifs en dépôt et choisisse un opérateur de nœud n’est pas suffisant pour satisfaire au critère des « efforts d’autrui » en vertu du test de Howey, car ces activités sont de nature administrative ou ministérielle, et n’impliquent pas d’efforts managériaux ou entrepreneuriaux. Cela ouvre ainsi une avenue pour de nouveaux rendements pour les institutionnels et pour de nouveaux prestataires de services de se positionner sur ce segment La position de la SEC confirme d’ailleurs expressément que des services liés au staking sont autorisés tant qu’ils n’impliquent pas d’efforts entrepreneuriaux ou managériaux et se situent au niveau des protocoles et n’impliquent pas des rendements promis indépendants ou supérieurs à ceux générés par les protocoles.Cela s’applique notamment aux services suivants :
- Couverture contre le slashing : le prestataire de services indemnise ou compense un client de staking en cas de perte due à un slashing (pénalité appliquée en cas de mauvaise conduite du validateur).
- Déblocage anticipé (Early Unbonding) : un prestataire de services permet le retour anticipé des cryptoactifs au propriétaire, avant la fin de la période de “unbonding” (délai imposé par le protocole avant de récupérer les fonds)
- Fréquences et montants alternatifs des récompenses : le prestataire livre les récompenses générées à un rythme ou selon un montant différent de celui prévu par le protocole, à condition que les montants de récompenses ne soient pas fixes, garantis ni supérieurs à ceux prévus par le protocole.
- Agrégation de cryptoactifs : le prestataire permet aux propriétaires de regrouper leurs cryptoactifs pour atteindre le seuil minimal requis pour le staking sur le protocole.Qu’ils soient proposés individuellement ou ensemble, ces services ne confèrent pas au prestataire un rôle managérial ou entrepreneurial, dès lors qu’ils se limitent à des fonctions administratives ou d’exécution.La SEC souligne que ces activités, lorsqu’elles sont limitées à des rôles administratifs ou ministériels, ne nécessitent pas d’enregistrement en tant qu’offres de valeurs mobilièresBien que cette prise de position de la SEC apporte une certaine clarté règlementaire, elle ne porte pas sur certaines formes de staking, notamment :
- Staking liquide (liquid staking) : où les utilisateurs reçoivent des jetons représentant leurs actifs stakés, permettant une liquidité accrue.
- Restaking : processus où les actifs stakés sont utilisés pour sécuriser plusieurs protocoles simultanément
Suisse: Position de la Finma sur le staking
En Suisse, la position de la FINMA (Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers) sur le staking a été clarifiée dans sa Guidance 08/2023, publiée le 20 décembre 20232.
La FINMA distingue plusieurs formes de staking :
- Staking direct (direct staking) : le prestataire de services opère lui-même le nœud de validation ou délègue cette tâche à un tiers, mais conserve les clés de retrait des actifs stakés.
- Chaîne de staking (staking chain) : les actifs sont transférés à un ou plusieurs autresprestataires qui exploitent le nœud de validation et détiennent les clés de retrait.
- Staking non custodial (non-custodial staking) : le client conserve un contrôle exclusif sur lesclés de retrait, sans que le prestataire n’accepte la conservation des cryptoactifs.Pour que les actifs stakés soient protégés en cas de faillite du prestataire, la FINMA stipule que les cryptoactifs doivent être “tenus en disponibilité pour le client à tout moment”. Cela implique que le prestataire doit pouvoir restituer les actifs stakés sans délai excessif. En cas de doute sur cette disponibilité, les actifs ne bénéficient pas de la protection contre la faillite prévue par la loi suisse sur la faillite (Art. 242a al. 2 LP) et la loi bancaire (Art. 16 al. 1bis LB).
Du point de vue réglementaire, la FINMA évalue ainsi les services de staking en fonction de la nature des actifs mis en jeu et du rôle joué par le prestataire :
- Si les jetons stakés sont des actifs numériques simples (tokens utilitaires ou cryptomonnaies), le staking est généralement considéré comme une opération technique sans qualification directe comme produit financier, sauf si des éléments supplémentaires comme la promesse de rendement ou la prise en charge de fonds par un intermédiaire sont présents.
- Lorsque des prestataires tiers proposent des services de staking avec conservation (custodial staking) ou des services combinant gestion des actifs et promesse de rendement, la FINMA peut qualifier ces activités de gestion de fortune ou d’offre de produits financiers soumis à réglementation (ex. licence de gestionnaire de fortune, règles anti-blanchiment).
- En matière de protection des investisseurs, la FINMA insiste sur la nécessité d’une transparence claire sur les risques liés au staking (notamment les risques techniques comme le « slashing »), ainsi que sur le respect des obligations de lutte contre le blanchiment d’argent et de connaissance du client (KYC).
- Le staking liquide (« liquid staking »), qui permet d’utiliser des jetons représentatifs pour plus de flexibilité, fait l’objet d’une analyse spécifique, notamment en matière de qualification juridique des tokens émis en échange des actifs stakés.Les prestataires doivent également s’assurer que les tiers (comme les opérateurs de nœuds externes) respectent des normes équivalentes en matière de supervision prudentielle et de traitement des cryptoactifs en cas de faillite.
Risques identifiés
La FINMA identifie plusieurs risques associés au staking :
- Risque technique : pannes du processus de staking ou slashing (perte partielle ou totale des actifs stakés due à une mauvaise conduite du validateur).
- Risque de contrepartie : incertitude juridique en cas de faillite du prestataire, notamment si le staking est délégué à des institutions étrangères.
Risque de marché : impossibilité de vendre les actifs stakés en période de volatilité, en raison de périodes de blocage ou de délais de retrait.
Ces risques peuvent être couverts en utilisant la technologie de validation distribuée avec des fournisseurs de services institutionnels suisses et des stratégies de couverture pour couvrir le risque de marché.
Pratiques de supervision
La FINMA recommande aux institutions de renforcer la sensibilisation des clients sur les risques, d’effectuer une diligence raisonnable approfondie des opérateurs de nœuds et de développer des scénarios de contingence en cas de défaillance d’un prestataire tiers. De plus, la FINMA encourage l’élaboration et la mise à jour régulière d’un Digital Assets Resolution Package (DARP), un ensemble de documents permettant au liquidateur d’accéder rapidement aux actifs numériques en cas de faillite.
Les institutions financières offrant du staking à leurs clients en délégant la validation technique des transactions à des prestataires de services tiers devront s’assurer de respecter la Circulaire FINMA 2018/3 « Outsourcing »3, entrée en vigueur le 1er avril 2018, établissant les exigences prudentielles applicables aux externalisations, ainsi que la Circulaire 2023/1 « Risques et résilience opérationnels – banques »4, entrée en vigueur le 1er janvier 2024. Il s’imposera dès lors de ne choisir que des prestataires de services de staking qui répondent aux exigences réglementaires en matière de sécurité et de gestion des risques. Afin de limiter les risques, il est recommandé d’avoir recours à des prestataires basés en Suisse qui sont certifiés par certaines normes de l’industrie (SOC2, ISAE 3402, ISO 27001).
En résumé, la FINMA adopte une approche pragmatique, évaluant au cas par cas les activités de staking selon leur structure et leur impact sur les droits des investisseurs, avec une vigilance particulière sur les activités impliquant la gestion d’actifs tiers et la promesse de rendement.
Conclusion
Ces clarifications règlementaires en lien avec le staking signifie que les institutionnels peuvent offrir du staking – et non des rendements intéressants sur leurs cryptoactifs – sans craindre de contrevenir aux lois régissant les valeurs mobilières.
La récente déclaration de la SEC représente une étape importante vers une meilleure compréhension du staking et une adoption institutionnelle, notamment par les banques et/ou les notamment les émetteurs de produits financiers (ETFs / ETPs) avec un sous-jacents en cryptoactifs pouvant être mis en jeu.